Jean-Pierre Pernaut était-il trop avant-gardiste ?

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Même mort depuis le 2 mars 2022, Jean-Pierre Pernaut continue à faire parler de lui. Récemment, c’est le présentateur du JT de TF1 Jacques Legros qui, dans un livre intitulé Derrière l’écran : 40 ans au cœur des médias (éditions du Rocher, 216 pages, 17,90 euros), égratignait son mythique confrère, décrit comme caractériel, incapable de passer la main. Ce règlement de comptes pas très classe envers un défunt qui ne peut pas se défendre témoigne, en creux, de l’extrême influence que « JPP » continue à exercer sur la matrice télévisuelle, et au-delà.

Sur le site de TF1, la page « Au cœur des régions », tel un petit mausolée en images, entretient la flamme provincialo-centrique que ce diplômé de l’Ecole supérieure de journalisme de Lille a fait briller durant trente-trois ans à la tête du JT de 13 heures, avec une tendresse particulière pour les santons de Provence. A eux seuls, les titres des reportages suffisent à convoquer la figure tutélaire de celui qui fut un temps la « personnalité télé préférée des Français » : « En montgolfière au-dessus des lavandes de Valensole », « Cornichons : c’est le moment de la récolte », « Une région, un instrument : l’accordéon auvergnat », « Zones blanches : même le téléphone fixe ne fonctionne pas chez ces Ardéchois », etc.

Autre matérialisation de cette aura post-mortem : le 24 septembre, la halle de plein vent du marché d’Abbeville était baptisée « halle Jean-Pierre-Pernaut », en hommage à l’ancien homme-tronc, natif de la Somme. Longtemps, dans les milieux autorisés, il a pourtant été de bon ton de se moquer de ce type au nom d’anisette, de ne voir dans son exaltation du terroir, du petit commerce et des traditions rien de plus qu’un poujadisme cathodique. En 2006, Isabelle Roberts et Raphaël Garrigos, alors journalistes à Libé, fustigeaient dans La Bonne Soupe : comment le 13 h de TF1 a contaminé l’info (Les Arènes) ce « journalisme en sabots », sa « litanie des petits métiers agonisants », sa « complainte du porte-monnaie ».

Info anxiolytique

Il est certain que le présentateur vedette n’a jamais été le porte-voix de la grève des cheminots ni de l’électro berlinoise. Mais, en s’intéressant aux problèmes de pouvoir d’achat, aux savoir-faire qui se perdent, à la désertification des campagnes, il a mis le doigt, avec une vista opiniâtre, sur l’un des angles morts de la modernité : cette confusion entre le progressisme (social, humain) et l’idéologie du progrès (à marche forcée, laminant tout sur son passage). A sa manière, Jean-Pierre Pernaut était avant-gardiste, préfigurant ce moment où l’air du temps se retournerait comme une galette bretonne, anticipant la vague des bac +5 se rêvant boulangers artisanaux et des Parisiens migrant vers les villes moyennes, annonçant un changement radical de logiciel où la conservation (des lieux, des gestes, des mémoires) ne serait enfin plus regardée comme un conservatisme.

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Lot atik