
Les Parisiens sont amenés à se prononcer, dimanche 2 avril, pour ou contre le maintien des trottinettes électriques en libre-service. Cette votation citoyenne organisée à l’initiative de la maire de Paris, Anne Hidalgo, survient alors que le gouvernement a dévoilé, le 29 mars, un « plan national » pour encadrer l’usage en libre-service, ou personnel, de ces engins à deux roues qui ont connu un succès croissant ces dernières années.
Depuis l’apparition des trottinettes électriques en free floating (véhicules en libre-service sans borne fixe) à Paris en 2018, ce moyen de locomotion suscite à la fois engouement et débats. Les personnes favorables aux trottinettes saluent une alternative de mobilité à bas prix, dans une capitale où la situation dans les transports en commun s’est dégradée. Mais pour les contempteurs, dont fait partie la mairie de Paris, la régulation des 15 000 trottinettes en libre-service dans la capitale, jugées non écologiques, est insuffisante au regard des nuisances engendrées.
Dans cette bataille d’arguments, qui dit vrai ? A quel point les trottinettes électriques sont-elles dangereuses ? Quelle menace représentent-elles pour l’environnement ? Le point en trois questions.
La trottinette électrique est-elle écologique ?
C’est l’un des arguments mis en avant par la Mairie de Paris : les trottinettes partagées seraient néfastes pour l’environnement, et leur usage alourdirait le bilan carbone des villes. « Ce n’est pas écolo », a déclaré Anne Hidalgo au Parisien, au mois de janvier. « Si l’on cumule fabrication et durée de vie, la trottinette est le plus polluant des transports de mobilité douce », a ajouté son adjoint à la mobilité, David Belliard, dans Le Journal du dimanche.
Qu’en est-il réellement ? Quelques études, et elles ne sont pas légion en France, ont tenté de calculer l’empreinte carbone de ces engins partagés. Selon qu’elles soient menées par des chercheurs indépendants ou par les opérateurs eux-mêmes (à Paris, Lime, Tier, et Dott se partagent le bitume), elles aboutissent à des conclusions singulièrement différentes, comme le remarque Mathieu Chassignet, ingénieur spécialiste des mobilités :
« Des études évaluent l’empreinte carbone des trottinettes autour de 50 grammes de CO2 équivalent par kilomètre parcouru (gCO2eq/km), d’autres disent plutôt 109 ou 250, soit un rapport de 1 à 5 entre les études optimistes et pessimistes. »
A titre de comparaison, parmi les autres modes de transport urbain, l’empreinte carbone est évaluée à 300 g pour le taxi, 200 g pour la voiture, 100 g pour le bus, et 80 g pour le scooter – sachant qu’un bus transporte largement plus de passagers simultanément qu’un scooter.
Du côté des opérateurs, Lime, Dott et Tier défendent leurs engins, en arguant que les trottinettes consomment « 10 fois moins qu’un scooter électrique et 100 fois moins qu’une voiture électrique », que le bilan carbone par personne d’un trajet réalisé en trottinette électrique « est similaire à un trajet réalisé en bus électrique ». Mais ces données ne sont pas suffisamment fiables aux yeux de Mathieu Chassignet. « Les opérateurs communiquent peu, ou mal, sur les données nécessaires à l’évaluation environnementale – notamment la durée de vie véritable des trottinettes, leur devenir en fin de vie, et les caractéristiques de la gestion de flotte », abonde sur The Conversation Anne de Bortoli, chercheuse spécialisée en transport et environnement :
« Certains opérateurs sous-traitent des évaluations souvent optimisées par des services de conseil ou des chercheurs manquant d’expertise (…), tout cela créant de la confusion autour de l’empreinte carbone véritable des services. »
Mais tous s’accordent à dire que les opérateurs ont fait des efforts dans la conception de leurs trottinettes. Certains engins de première génération avaient une durée de vie de quelques jours, étaient rechargés à l’aide de véhicules énergivores, sans compter les composants des batteries, nuisibles à l’environnement. Désormais, selon les loueurs, les trottinettes parisiennes ont une plus grande longévité et sont davantage robustes. Ils mettent également en avant un meilleur recyclage des batteries et une gestion de la flotte par des véhicules moins polluants.
Leur interdiction va-t-elle engendrer davantage de pollution ?
Ici, l’argument est relayé par les défenseurs des trottinettes électriques parisiennes, parmi lesquels des influenceurs sur le réseau social TikTok, rémunérés par les opérateurs pour encourager les jeunes à voter le 2 avril. Selon eux, en cas de disparition de ce moyen de locomotion, leurs usagers pollueraient davantage car ils retourneraient vers des transports plus émetteurs de gaz à effet de serre, comme la voiture ou les taxis et les VTC.
Les résultats des études convergent sur ce que les pouvoirs publics appellent plus communément le « report modal », c’est-à-dire le transfert des flux d’un mode de transport spécifique vers un autre moyen de locomotion.
Sur ce sujet, une étude du bureau de recherche 6T commandée par la Ville de Paris en 2022 se révèle particulièrement instructive. Elle indique que sur les 40 000 trajets effectués sur trottinettes quotidiennement à Paris, 19 % d’entre eux auraient été effectués avec un mode motorisé. La très grande majorité des utilisateurs auraient, au contraire, pris les transports en commun ou opté pour la marche.
La chercheuse Anne de Bortoli a, quant à elle, calculé que sur l’année 2019, les trottinettes partagées avaient généré environ 13 000 tonnes d’équivalent CO2 supplémentaires dans la ville. Toutefois, nuance-t-elle, cela ne représente que 0,015 % de l’empreinte carbone de Paris, estimée à plus de 20 millions de tonnes.
Les trottinettes électriques sont-elles « suraccidentogènes » ?
Une observation empirique des usagers, qu’ils conduisent seuls ou à deux, invite aisément à conclure que les trottinettes électriques sont nettement plus instables et dangereuses que les vélos. Mais que disent les chiffres ? Selon la Préfecture de police de Paris, les engins de déplacement personnels motorisés (EDMP), qui regroupent les gyropodes, les hoverboards, mais surtout les trottinettes électriques, ont été impliqués dans :
- 516 accidents, dont 426 blessés et 3 décès en 2022 ;
- 402 accidents, dont 263 blessés et 1 décès en 2021.
Entre 2021 et 2022, le nombre d’accidents impliquant en grande partie des trottinettes électriques a ainsi augmenté de 28 %, et le nombre d’accidents dont les conducteurs sont présumés responsables a, lui, augmenté de 37 %, rappelle la Préfecture de police. Aussi, comme l’a précisé à 20 Minutes le ministre délégué aux transports, Clément Beaune :
« On sait que dans un accident sur cinq, les utilisateurs étaient deux sur l’engin, c’est important de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’un jouet. »
Une enquête publiée en 2021 détaille les dangers liés aux trottinettes. Menée dans la ville de Lyon par un médecin anesthésiste-réanimateur, elle expose la nette hausse du nombre d’accidents depuis l’explosion de ce moyen de déplacement. « Au total, 1 186 accidents de trottinette ayant entraîné 1 197 usagers blessés ont été recensés, dont 90 % dans l’hypercentre urbain, avec un nombre d’accidents de trottinettes multiplié par 7,3 entre 2018 et 2019 », décrit le médecin, qui lie cette augmentation à l’introduction, en 2018, des trottinettes partagées à Lyon. Toutefois, nuance-t-il, les « atteintes graves représentaient 3,8 % des lésions ».
Ces chiffres démontrent-ils pour autant que les trottinettes seraient plus dangereuses que le vélo ? « Pour être rigoureux et comparer les accidents liés aux vélos et ceux des trottinettes, il faudrait rapporter tous les chiffres des accidents au nombre de kilomètres parcourus », explique Mathieu Chassignet. Or, regrette-t-il, « on connaît encore mal l’usage des trottinettes en France, donc on ne dispose pas de l’indicateur pertinent, qui est le taux de risque relatif par kilomètre parcouru ».
Un rapport de l’Académie nationale de médecine paru en 2022 note toutefois qu’avec la multiplication des offres de location des trottinettes électriques, « l’accidentologie liée à leur utilisation est devenue un problème sanitaire majeur ». L’institution relève comme facteurs de risque la conception des engins, le comportement des conducteurs, l’état des voiries et le partage de l’espace public. Pour diminuer l’accidentalité, elle encourage les opérateurs à renforcer la sécurité des trottinettes, et les « règles de prévention (…) comportant formation et protection renforcée », tout « en laissant aux responsables des politiques urbaines le soin d’aménager l’environnement, qui, pour l’essentiel, concerne les voiries et le partage de l’espace public ».
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